Chères Brebees, Chers Mootons,
Je dois vous l'avouer. Comme tous les distributeurs Français, Système U est un groupe sans foi, ni loi qui prend un malin plaisir à encourager ses fournisseurs à maltraiter les animaux d'élevages …
C'est facile et c'est sans risque puisqu'il n'y a qu'un million et demi de clients qui fréquentent nos magasins chaque jour et donc, notre image de marque n'est pas un souci …
Non. Soyons sérieux, même si certains en doutent et s'ingénient à nous accabler de tous les maux, Système U agit et s'engage sur ces sujets.
Ce qu'il faut comprendre dans cette affaire d'œuf, c'est que nous sommes au cœur d'un "écosystème" sensible dans lequel nous avons à faire aux agriculteurs, à nos clients qui sont aussi des citoyens, et à nos concurrents.
Nous proposons en magasin en moyenne 28 références différentes d'œufs (bio, plein-air et cages). Sur ces 28 références, 18 sont bio ou plein air et ce nombre va croissant depuis quelques années.
Si nous ne passons pas immédiatement l'ensemble de l'offre en bio ou plein air, c'est pour plusieurs raisons objectives :
Les Magasins U sont des magasins populaires fréquentés par toutes les classes de la société, certains de nos clients ne veulent pas ou ne peuvent pas payer leurs œufs plus chers. Pour rappel, la différence de prix entre un œuf bio et un "œuf de cage" étant de 0,20 euros l'unité.
Nous avons aussi des clients qui ont les moyens, mais qui se fichent des conditions d'élevage. C'est regrettable, mais c'est ainsi. Et ceci, malgré les sondages qui annoncent qu'une majorité de Français rejette l'élevage en cage : il y a souvent une différence entre la déclaration d'intention et la concrétisation de l'acte d'achat … C'est la réalité.
Nous ne voulons pas imposer un choix à nos clients, nous les informons dans les rayons et sur les emballages sur la nature de l'élevage, mais nous ne voulons pas les contraindre en retirant arbitrairement une catégorie de produits pour des raisons que certains ne partagent pas.
Nous pensons que chacun doit rester libre d'acheter ce qu'il veut par rapport à sa perception de la question.
D'ailleurs, si nous décidions de retirer ce type d'œuf, nos concurrents auraient vite fait d'attirer chez eux ces clients "déçus" …
Au-delà de ces considérations que certains trouveront motivées par la seule crainte de perdre du chiffre d'affaires, il convient également de se poser la question de la filière amont, car derrière les poules il y a les éleveurs. Je sais qu'on leur reproche d'avoir tardé à se mettre aux normes, mais souvent ce sont de petites exploitations aux capacités d'investissements modestes. Si nous décidions de suspendre la vente des "œufs de cages", on peut être sur que cela entraînerait la disparition de dizaines d'élevages ce dont on ne manquerait pas de nous accuser … il est vrai que devant cet argument, des défenseurs de la cause animal m'ont répondu : "les éleveurs n'ont qu'à crever" …
Ce n'est pas notre perception des choses.
Ce que nous pensons chez Système U, et c'est ce que j'ai écrit dans le livre auquel vous faites référence (et où vous ne trouverez nul part un engagement de supprimer dans les Magasins U les œufs de poules élevées en cages), c'est que nous sommes dans un changement d'époque, et que comme pour toutes les évolutions importantes de comportements, il faudra attendre une génération pour en mesurer pleinement les effets.
Oui, il y a de plus en plus de consommateurs / citoyens qui font le lien entre alimentation et santé, qui s'interrogent sur le modèle de production intensive, mais ce sont des éclaireurs qui ne sont pas encore la majorité. Chez Système U, nous avons fait des choix impliquant en retirant de produits à marque U l'huile de palme, le parabène, ou en remplaçant l'aspartame par la stévia …
Nous avons fait ces choix, mais nous continuons à vendre du Nutella ou du Coca Cola.
Dans cette affaire, nous sommes tous d'accord sur l'objectif, c'est dans le temps et la méthode d'action que nous divergeons.
La méthode employée par L214 est malheureusement contre-productive chez Système U. En effet, certains de mes collègues ne comprennent pas pourquoi nous sommes plus visés que d'autres alors que nous agissons sur nos produits ou en passant des accords avec des producteurs agricoles pour améliorer les conditions d'élevages.
Nous avons rencontrés plusieurs fois L214, nous avons fait valoir nos arguments et nos contraintes … Sans succès, c'est dommage car nous aurions pu ensemble communiquer et expliquer aux consommateurs, plutôt que de voir des actions, certes spectaculaires du point de vue des médias, mais sans actions concrètes dans les pratiques de nos clients.
Voilà pour ma réponse, je ne pense pas que mes arguments auront convaincu les membres de votre petite bergerie … Peut être un jour …
Serge Papin
PDG du Groupement Système U